Les mésaventures du Leica M9
- latelierdejp
- 3 mai 2024
- 5 min de lecture
Si vous vous souvenez de l’article précédent, il convenait de trouver la solution de Leica pour le moins cavalière : nous ne réparons plus cet appareil mais nous vous encourageons à en acheter un nouveau, sur lequel on vous fera une (petite) ristourne.
A savoir 40% de remise pour l’achat d’un M11 (8.950€) ou 20% si vous optez pour un Q3 (5959€) et en échange vous abandonnez votre M 9.
Alors, si je reviens sur cet incident malheureux, c’est grâce à la ténacité de Jean-Marc (il se reconnaîtra) qui m’a fournit l’adresse d’un site américain proposant l’échange du capteur.
Mais surtout, sur ce site, il y a une longue explication (en anglais, off course) sur les tenants et aboutissants de ce problème.
En voici les grandes lignes, c’est assez interpellant …
Le Leica M9 a été produit dans une multitude de déclinaisons (séries spéciales, coloris spéciaux, accessoires chers, etc.) entre 2009 et 2014, à plus ou moins 180.000 exemplaires.
Le M 9 reste dans la tradition du M3 (1953), un appareil sans aucune aide de type autofocus (AF), ni automatismes d’aucune sorte : vous réglez la sensibilité, vous réglez la distance soit avec le télémètre soit via le « zone focus », vous réglez la vitesse et vous appuyez sur le déclencheur … c’est dans la boite !
Comme on dit un peu abruptement, « c’est un appareil qui se mérite » et il vous oblige à prendre le temps de faire votre photo : déjà le temps de régler votre prise de vue (cadrage, distance), puis son exposition (vitesse) et juste après avoir déclenché, vous attendez, encore … au moins 7 secondes à voir une loupiote clignoter, le temps – encore lui – que l’image captée s’inscrive sur la carte mémoire.
Notez, pendant ce temps-là, vous avez l’occasion de philosopher sur celui qui passe …
Ne comptez pas trop sur la mémoire tampon, elle supporte bravement 7 à 8 vues, mais ensuite il faut les écrire sur la carte mémoire. Et c’est reparti …
Pour saisir « l’instant décisif », il vous faudra être ingénieux, pro-actif et réfléchi afin d’avoir le bon timing.
Avec un appareil vendu à 6800€ nu, vous auriez sans doute aimé qu’on ajoute quelques puces mémoire, qui sont peu onéreuses, afin de garantir un plus grand confort pendant la prise de vue. Il semble que Leica n’y ait pas pensé.
Venons-en au cœur du problème, le capteur.
Il s’agit d’un CCD plein format de 18mp fournit par Kodak, qui a vendu cette activité à Truesense (Platinium Equity en 2011), qui l’a vendu à son tour en 2014 à On Semi.
Ce capteur utilisait un filtre anti-Infra Rouge (ICF), qui est un morceau de verre séparé du reste, placé devant la lamelle transparente du capteur. L’ICF est généralement une combinaison de verre absorbant les infrarouges, de divers revêtements et de couches de niobate de lithium qui constituent le filtre anti-crénelage/passe-bas optique/filtre de flou de l’appareil photo. Le niobate de lithium divise la lumière en deux polarisations. L’épaisseur du filtre détermine l’ampleur de la division. Il existe deux couches : les divisions verticales et horizontales.
Maintenant, l’ICF est fixé sur le capteur, ce qui, en cas de griffe, oblige à changer ce dernier car on n’arrive jamais à récupérer les traces sur le verre et comme la résolution des capteurs est élevée, le moindre défaut est rédhibitoire.
Quelques spécialistes, dont MaxMax pouvaient remplacer les ICF car ils achetaient en gros, pour chaque type d’appareil, les verres correspondant, ce qui nécessite de gros moyens financiers.
D’autres faisaient de « bricolage » en utilisant des verres standards, avec la conséquence que souvent le plan focale était modifié (pas la bonne épaisseur du verre) ou alors bidouillé avec des cales de fortune. A éviter évidemment.
Mais la question qui reste est : qu’elle est réellement cette « corrosion du capteur »?
Il est vraisemblable que Kodak ait utilisé de la colle époxy pour coller l’ICF sur la puce du capteur, qui s’est détériorée et empêchait d’ôter la fine couche de verre du capteur. Ou une oxydation qui s’est formée au moment de la phase vapeur utilisée pour le collage.
Toujours est-il qu’au début Leica remplaçait gratuitement les capteurs défectueux en s’armant de patience car il fallait souvent plus de 6 mois pour retrouver son appareil remis en état.
Le temps faisant sont œuvre, de plus en plus de capteurs étaient touchés et Leica demandait alors 1500€ pour faire la même opération. En tout cas jusqu’à ce que On Semi, qui fabriquait ces capteurs, se retire du secteur et Leica ne put plus remplacer ces derniers.

Et donc les clients se retrouvaient avec un appareil souvent en très bon état mais inutilisable. Leica aurait-il pu proposer un échange de capteur d’une autre marque, une remise à niveau de l’appareil avec un nouveau capteur et une nouvelle « carte mère » ?
On ne le saura jamais car la proposition fut celle citée plus haut si achat d’un nouvel appareil Leica M11 ou Q3 qui, entre-temps, avaient vu leurs tarifs gonflés.
La société Maxmax, en essayant de comprendre le pourquoi de ce désastre a fait une découverte déconcertante : Kodak a utilisé un verre de type Schott BG non traité (je cite). Il semble reconnu que ce type de verre BG (et UG) soit sensible à l’oxydation et ne soit en aucun cas recommandé ce pourquoi il a été utilisé ici.
Alors quoi, économie à la petite semaine, erreur lors des assemblages ? Toujours est-il que la cause de ces désagréments soit un manque de revêtements protecteurs sur le verre ICF.
Finalement, y a-t-il une solution ?
Maxmax en propose plusieurs, qui doivent faire l’objet de devis, mais, dans les grandes lignes :
Remplacer l’ICF défectueux par un nouvel ICF en laissant la caméra comme une caméra couleur
Remplacer l’ICF défectueux par une fenêtre UV-VIS-IR transformant la caméra en une caméra couleur à spectre complet
Notez qu’avec cette conversion, vous devrez utiliser un filtre sur votre objectif. Pour les images en lumière visible, il faudra utiliser un filtre bloquant les UV et les IR.
Remplacer l’ICF défectueux par un nouvel ICF et changer le capteur en monochrome
Remplacer l’ICF défectueux par une fenêtre UV-VIS-IR transformant la caméra en une caméra monochrome à spectre complet
La sensibilité aux UV sera environ 6 fois supérieure à celle d’un appareil photo couleur. Encore une fois, il faudra utiliser des filtres sur votre objectif en fonction du type de lumière que vous souhaitez que votre appareil photo voie.
Evidemment, les solutions ne sont pas exemptes de désagréments mais plutôt qu’un bel objet devenu totalement inutilisable, vous retrouverez un appareil partiellement efficace et peut-être que ses nouvelles limites seront sources de créativité.
Quant au prix, comptez en gros entre 1500 et 2500€, auquel il faudra ajouter les frais de port au delà de l’Atlantique, au moins.
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