Le Semflex Standard 3,5B type 9
- latelierdejp
- 27 févr. 2024
- 8 min de lecture
Cet appareil français est né dans le contexte troublé de l’après-guerre (1948).
Pour mémoire, les usines d’appareils photographiques allemandes ont soit été détruites, soit démantelées par les vainqueurs et ce sont parfois des usines entières qui passent une frontière (Contax par exemple). Seul Leica ne sera ni détruite ni démantibulée pour d’obscures raisons (il y aurait eu un centre d’interrogatoire allié dans ses bureaux).
Ensuite, des barrières douanières viennent encore freiner un peu plus les rares exportations allemandes, notamment vers la France.
Enfin, la plupart des brevets allemands sont remis dans le domaine public ou repris par des entreprises des pays victorieux au titre de dommages de guerre.
Toutes ces incertitudes conduisent certains fabricants à profiter de ces années de flottement pour occuper un terrain commercial de nouveau vide ou très peu occupé.
En France donc, si OPL Foca a tenté de prendre la place vacante des Leica avec ses beaux télémétriques, deux hommes vont choisir d’investir un créneau particulier, celui des TLR (twin lens reflex, les reflex bis-objectifs).
Messieurs Jean Cros et Paul Royet et leur Société des Établissements Modernes de Mécanique (le SEMM dite couramment SEM), gageant que Rolleiflex et Ikoflex ne vont pas revenir de sitôt sur le marché, misent sur la construction d’un nouvel appareil : ce sera le Semflex.
Initialement basée à St Etienne, elle déménage à Aurec (1947). Là, un jeune ingénieur du nom de Claude Forge va assurer le développement de l’appareil. Il est déjà l’inventeur d’un obturateur Orec (traduction phonétique du nom du lieu), qui équipera la plupart des boitiers.
Dès juillet 1948, les premiers appareils, le SEM I et II seront livrés car Paul Royet voulait absolument que l’appareil soit prêt rapidement, quitte à fabriquer d’abord un appareil plus simple. Il se raconte d’ailleurs que le premier prototype fut monté dans le train par Claude Forge alors qu’il accompagnait son patron au salon de photographie de Paris début 1948.
Les deux appareils avaient un objectif à trois lentilles ouvert à f4.5 et un obturateur Orec montant au 1/300s pour le SEM I et pour le II un objectif à quatre lentilles ouvrant à f3.5 avec un Orec au 1/400s.
Ensuite il s’en est suivi une large gamme de modèles que les spécialistes essaient de reconstituer. Certains parlent de 7 variantes alors que d’autres, sur des bases différentes, parlent même de 56 variantes. Il y eut aussi des modèles fabriqués pour de grands distributeurs de l’époque, comme Photo Hall ou Grenier Natkin. Du travail pour les collectionneurs …
Alors, pour essayer de faire simple, il y a essentiellement deux familles : le Standard, qui a un bouton pour l’avancement du film et une fenêtre rouge à l’arrière, qui sert de compteur de vue simplifié, et puis il y a le Otto avec une manivelle et un avancement automatique.
Au niveau des objectifs, on reste en France avec des SOM Berthiot, des Angénieux et des Tourret-Narat.
Sur l’exemplaire en ma possession c’est un SOM Berthiot de 75mm ouvrant à f3,5. Le 75mm sera la focale normale mais il y eut des focales différentes, souvent créées « à la carte » selon des besoins spécifiques (avec un 150mm f4,5 pour le studio par exemple).

L’objectif du dessus, qui ne sert qu’à la visée, ouvre lui à f2,8.

Ce choix d’une plus grande ouverture est assez courante en TLR. Associé à un dépoli de qualité, ça permet justement d’aider à la visée avec une plus grande clarté sur le dépoli. Un mot d’ailleurs à son sujet ici : ils sont généralement plats (sauf sur les premiers modèles haut de gamme où ils étaient concaves), soit sans marque, soit sérigraphiés, soit gravés des aides à la visée.
Soyons de bon compte, la vision est toujours un peu obscure, fut-ce déjà à cause de la « cheminée » au dessus du dépoli mais aussi de par la conception du système :


Elle n’est pas pire qu’une autre même si celle du Yashica D ou du Rolleiflex est un peu meilleure.
Pour ce qui est du réglage des vitesses, elle se fait avec un curseur placé sur le côté de l’objectif. L’obturateur est maison, c’est un Orec qui, sur ce modèle va de 1s au 1/400s plus une pose B.

Les premiers appareils étaient aussi pourvus d’un Orec mais limité à 1/300s. Il y eut même des modèles moins bien lotis : le Semflex T950 était limité au 1/250s et, pire, le Semflash ou le « Joie de vivre » n’avaient qu’une seule vitesse, le 1/50s. Pour être plus complet, à partir des années cinquante, il était possible de commander des obturateurs Synchro Compur donnant le 1/500s, des obturateurs …. allemands !
Si vous regardez bien l’image ci-dessus, vous voyez un second curseur, celui des ouvertures, qui vont de f3,5 à f22.
En jouant avec l’ouverture et la distance, sur la grosse molette à gauche, vous aviez une échelle de profondeur de champ facile à utiliser.

Ce qui frappe, en voyant le Semflex de face, ce sont les 2 prises pour la synchronisation du flash.
En fait, c’est une illusion esthétique car il n’y a de fait qu’une prise, une prise coaxiale de 3 mm. Par contre, sur le côté il y a de nouveau 2 prises femelles de 3mm avec 13mm d’écart (la prise SEM) qui permettait de fixer un flash spécial SEM, qui s’enfichait dedans et assurait et la fixation mécanique et électrique avec sélecteur F/X.
A l’origine, les Semflex n’étaient pas synchronisés pour les flashs, mais ils avaient une prise sur l’obturateur. Puis la prise changera de place selon les modèles et deviendra synchronisée avec un inverseur X/F. Ce dernier en situé en dessous de la platine d’objectifs, à côté du déclencheur.
Petit résumé en images de l’engin :
Remarquez, en passant, la qualité du « sac tout près », tout en cuir, articulé pour pouvoir utiliser facilement l’appareil sans devoir tout ôter.
Sur la droite, le gros bouton est celui de l’avancement du film. De l’autre côté, 2 boutons plus petits sont ceux pour placer la bobine de film et la réceptrice dans la chambre (il faut les écarter).
Par dessous, un gros verrou rotatif qui débloque tout le dos, monté sur charnière. Notez aussi la présence de 4 petits pieds métalliques, qui permettent de placer l’appareil sur une base stable
Ce modèle ne comporte à l’arrière qu’une fenêtre pour vérifier l’avancement du film. Celle-ci se ferme avec une partie coulissante en métal.

Avant d’aller plus loin, sachez que ces appareils ont presque tous quelque chose qui les rend uniques : soit un gainage, soit l’inscription du nom, soit la taille des boutons, soit le nombre de fenêtres, soit le nombre de prises pour le flash, soit l’âge du capitaine et la vitesse du vent …
Bref, le Semflex est un terrain de jeux apprécié des collectionneurs, qui rêvent tous de trouver l’exemplaire qui fera la différence.
Sinon, ce qu’il faut retenir, si on veut utiliser l’appareil, c’est qu’il est bien construit, avec des éléments de qualité. Rappelez-vous, ses concepteurs voulaient rivaliser avec ce qui se faisait de mieux en Allemagne. Le pari semble avoir été réussi même si l’appareil n’aura jamais l’aura de ses concurrents (Rolleiflex et Ikoflex), c’est dommage. La production des Semflex s’arrête au seuil des années septante. Dans ces années-là, la plupart des autres constructeurs auront aussi jeté l’éponge, sauf Yashica et Rolleiflex.
Celui que je vous présente est un Semflex Standard 3,5 B type 9, fabriqué de 1955 à 1959.
Bien évidemment le boitier est prévu pour du film 120 mais on pouvait aussi y placer du film 24×36. En fait un film qui n’existe plus de nos jours, du 828 qui est un 24×36 sans perforations et qui donne dès lors une surface utile de 28x40mm. Ce qui est particulier, c’est que je n’ai trouvé nulle part un cache pour mettre sur le dépoli afin de tenir compte du format de ce « petit film » lors de la prise de vue ni un autre à mettre dans la chambre pour réduire la taille de celle-ci aux dimensions du 828. Etrange.

Pour utiliser le Semflex Standard 3,5 B il faut soulever le capuchon en abaissant le petit levier à l’arrière. Il se soulève et les plaquettes se déplient dans le bon ordre pour créer le viseur.
Vous faites la mise au point en tournant dans un sens ou dans l’autre le gros bouton sur la gauche. La distance minimale pour la mise au point est de 90cm avec l’objectif de 75mm f3,5. Vous pouvez affiner la mise au point sur le dépoli en faisant sortir la loupe qui est intégrée dans le capuchon.
Il a existé des « bonnettes » pour pouvoir photographier encore plus près (vous pouvez les voir dans le mode d’emploi – réf. ci-dessous).
Lorsque vous aurez terminé vos photos, pour refermer le viseur, il suffit d’appuyer sur le capuchon pour le refermer jusqu’à entendre le « clic » du verrouillage.
Notons qu’il existe ce qu’ils appellent un « viseur sport », soit un simple cadre de métal lorsque vous avez fait basculer le capuchon. A utiliser avec le système du zone focus car vous n’avez alors pas d’informations sur le dépoli avec cette manière de viser.
Après avoir réglé la distance, l’ouverture et le vitesse, il faut armer l’appareil avant de déclencher. On arme l’obturateur avec le curseur sur le côté de l’objectif et le déclencheur est situé sous l’objectif du bas. Il est aussi prévu de pouvoir fixer un câble souple sur le déclencheur, pour les poses longues ou si utilisé en studio sur trépied.
Pour insérer un film, il faut tourner le gros verrou du dessous, qui libère le dos. Bizarrement, rien n’est écris à ce sujet sur le mode d’emploi. Parce que c’est très simple, ou parce que les clients étaient censés avoir déjà fait la manœuvre ? C’est vrai qu’à l’époque, le film 120 semblait plus simple à utiliser que le 135 (pas de rembobinage, bobine plus grande à manipuler).
En tout état de cause, il faut placer la bobine chargée en bas et tirer le film vers le haut, glisser le début de la languette dans la bobine réceptrice, tourner lentement jusqu’aux repères (généralement une flèche ou une ligne qui barre le papier), refermer le dos et continuer à tourner jusqu’à ce que le chiffre 1 apparaisse dans la fenêtre. Voilà, vous êtes prêt pour votre première image. Bienvenue dans le monde fascinant des grands négatifs et de la photo lente …
Que penser de ce bel appareil, in fine ?
Dire qu’il est beau est toujours subjectif. Par contre, on peut dire qu’il est bien construit. Tout en métal coulé, il respire la solidité. Les mécanismes sont doux, exempt de jeux et faciles à utiliser.
Si vous voulez vous lancer dans la découverte du monde fascinant du 6×6, c’est un excellent candidat : outre sa qualité de fabrication, les optiques sont très bonnes, les marques retenues font parties de plus anciennes fabriques d’optiques européennes. Sa vitesse maximale est dans la partie haute de celles de l’époque (1/400s) ce qui le destine aussi à pouvoir sortir sans trop de complexe. En paysage ou en portrait, il fera merveille.
Enfin, malgré toutes ses qualités, son prix reste très contenu : comptez environ 120€ pour un très bel exemplaire avec sa gaine en cuir. Difficile de faire mieux pour moins cher (je connais des Lubitel 2 en bakélite à ce prix) !
C’est presque dommage de les voir partir à ce pris-là !
Conclusion : si vous en trouvez un et que vous avez envie de vous initier au moyen format, ne le boudez pas, ce serait dommage de le voir partir.
Ce très bel exemplaire fait partie de la collection dont je vous ai déjà touché un mot.
Pour le mode d’emploi, il est à télécharger ici.
Petite videos d’illsutration :
Des références : https://www.hocus-focus.fr/2024/02/07/test-du-6×6-tlr-sem/, https://alexandre-s.fr/lhistoire-du-semflex/, https://fr.wikipedia.org/wiki/Semflex, https://collection-appareils.fr/x/html/appareil-12809-Sem_Semflex%20III.html, https://cameras-obscuras.blogspot.com/2008/09/en-tte-des-6×6-franais-le-semflex.html, https://www.collection-appareils.fr/x/html/page_standard.php?id_appareil=1278, https://camerapedia.fandom.com/wiki/Semflex, https://www.collectiongeven.com/piwigo/, http://glangl1.free.fr/Pages/Sem/Page_Standard.html, https://collection.click-clack.fr/sem-appareils-photo-6×6-cm/, http://clicclac.free.fr/clicclac.php?page=appareils_marque.php?marque=SEM, https://www.mes-appareils-photos.fr/Semflex-Standard-3.5.htm en français ; http://www.tlr-cameras.com/French/index.html, https://emulsive.org/reviews/camera-reviews/semflex-studio-the-tele-tlr-with-a-french-accent-by-gael-ld en anglais ; et si vous deviez réparer le vôtre : http://herlent.daniel.free.fr/reparation/semflex/index.html
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