Le Filmor de Fototecnica (made in Italy)
- latelierdejp
- 22 juil. 2024
- 6 min de lecture
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Préambule.
Une fois n’est pas coutume, c’est sous un soleil de plomb (32°C à l’ombre, mais il n’y a pas d’ombre !) que nous visitons une brocante, celle d’Incourt en l’occurrence, qui s’étend sur plus de 2 kilomètres en rase campagne.
Là une personne âgée vend quelques appareils dont un dans un minuscule étui en cuir. Je présume que ce sera un box quelconque.
De fait, en ouvrant la boîte, je découvre cet étonnant Filmor. J’avoue avoir vite compris comment il fonctionne (et je n’ai aucun mérite, c’est d’une simplicité naïve), mais impossible de voir comment l’ouvrir. Et en essayant, je casse malencontreusement la petite courroie de cuir de portage. Bien évidemment, j’achète l’appareil au prix que nous venions de décider. Je trouverai bien comment en venir à bout à la maison.
Un peu d’histoire.
Contrairement à la France et l’Angleterre, l’Italie n’a pas un grand passé de « chercheurs » dans le domaine de la photographie. Pourtant, dès la naissance de celle-ci, Turin, surtout, s’intéresse de près aux évolutions de ce nouveau médium.
Turin est alors dans une phase d’ébullition : après la défaite de Bonaparte en 1815, le Piémont et la Sardaigne sont rendus au roi Victor-Emmanuel 1er. Mais le souverain mécontente sa population et de nombreuses révoltes vont éclater. En 1852, le Comte de Cavour, Camillo Benso va œuvrer pour l’unification de l’Italie. Il modernise l’économie et prépare donc l’unification du pays pour le roi Victor-Emmanuel II. Il obtient le concours de Napoleon III pour regagner les territoires encore sous la coupe de l’Autriche (mais en contre partie il perd Nice et la Savoie en faveur de la France). Le 18 février 1861, le premier Parlement italien siège au Palazzo Carignano à Turin et le 17 mars, Victor-Emmanuel II devient le premier roi d’Italie. Cavour décède la même année, alors nommé premier ministre, victime du paludisme.
Même si elle perd le statut de capital du pays, Turin reste une ville très industrielle et à l’affut des nouveautés du monde : en 1884, elle accueille l’Esposizione generale italiana artistica e industriale (Exposition générale d’art et d’industrie italienne). Cette exposition internationale doit promouvoir ce qui se fait de mieux dans les arts et l’industrie de l’époque.
Dans l’attente de cette exposition et juste après elle, Turin verra se créer de nombreuses entreprises dans de nombreux domaines, comme la presse, le textile, l’agro-alimentaire, la mécanique, l’automobile : ainsi naissent la Gazzetta Piemontese (1867) qui deviendra le grand journal national La Stampa (1895) et la société Martini ; Lavazza en 1899, la Fabbrica Italiana Automobili Torino (FIAT) voit le jour la même année ; la première maison de production cinématographique (1904), puis Lancia en 1906.
« Et la photographie dans tout ça ? »
Le Piémont est resté assez proche de ce qui se fait en France et très vite les daguerréotypes se développent. Dès 1839, la Gazzetta Piemontese se fait l’écho des premières expériences faites à partir de daguerréotypes et dès 1840 de nombreux portraitistes ambulants s’établissent dans la région. Ils sont surtout d’origine française (Adolphe, Fortin, G. Perraud et Renaud à Turin, et Bernardi à Biella).
Pourquoi le daguerréotypes plutôt que les techniques du collodion humide, le calotype ou du ferrotype, alors aussi en vogue à l’époque ? A cause des liens étroits avec la France, les autres procédés étant plutôt de mise en Angleterre.
Puis, petit à petit, ces autres techniques vont s’implanter et supplanter le daguerréotype, notamment dans les nombreux studios qui s’ouvrent dans le Piémont.
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, Turin reste prospère et encourage l’installation de nouvelles industries. Las, alors que c’est sans doute la Ville qui fut la plus antifasciste, elle sera terriblement bombardée par les alliés (1943) et son industrie subira d’énormes pertes.
Pourtant, au sortir de la guerre, la Ville se redresse et relance son économie avec de grands noms (Olivetti, Ferrero – 1946) qui côtoient toujours les grandes industries du passé.
C’est à cette époque (1946) que la Fototecnica est fondée à Turin pour produire du matériel photographique.
Les premiers appareils photo proposés étaient des boitiers simples, qui offrent un juste équilibre entre qualité et prix économique, comme le Bakina (1946) ou le Bandi (idem)
N’oublions pas que nous sommes au sortir de la seconde guerre mondiale. D’autres fabricants ne proposent pas mieux : Kodak vend toujours ses box, Agfa aussi, ou des appareils en bakélite (Kodak, Ferrania, Fex, etc.), voire encore des soufflets (Agfa, Zeiss Ikon, etc.)
Ce que le public veut, ce sont des appareils simples d’utilisation, peu coûteux mais qui donnent une certaine satisfaction quant au rendu.
Le Filmor – je devrais d’ailleurs écrire les Filmor – ne dérogent pas à ces attentes. Nous sommes en 1950 pour les modèles qui nous occupent aujourd’hui.
Tiens, pourquoi écrire « les » Filmor ? En préparant cet article, je me suis rendu compte qu’il existait deux formes de cet appareil, légèrement différente (nous y reviendrons) et il se fait que ce matin, dans une autre brocante qui attendait une drache nationale, j’ai trouvé le second modèle.
Présentation du Filmor de Fototecnica.
Comme je l’écrivais en préambule, lorsque j’ai acheté le premier Filmor, je n’ai pas trouvé comment l’ouvrir et le vendeur n’en avait aucune idée.
En fait, cette anecdote prouve combien cet appareil est fabriqué sérieusement car si j’ai finalement trouvé c’est en regardant très attentivement comment il était fait.
Tout d’abord le boitier est tout métallique, alors qu’à l’époque certains vendaient encore des box en carton !
Généralement les box possèdent deux viseurs et on y regarde au niveau de la taille. Le premier viseur donne une photo au format dit « portrait » et lorsqu’on couche l’appareil sur le côté, on obtient le format « paysage » car se sont généralement des 6x9cm.

Une autre variante, que l’on retrouve sur les appareils à soufflet, c’est un viseur de côté que l’on fait pivoter dans le sens de la prise de vue, comme sur le Zeiss Ikon Nettar 512/2.

Ici, ils ont fait une synthèse des deux systèmes pour le premier modèle : le viseur, placé au dessus de l’objectif, pivote selon ce que l’on a besoin.
Comme la plupart des box de l’époque, l’obturateur est commandé par une tringle, sur le côté droit de l’appareil. Il y a deux vitesses : I pour « instantané », qui donne environ le 1/60s et T pour « temps » où l’obturateur restera ouvert aussi longtemps que nécessaire avec le sélecteur appuyé.
L’objectif fixe achromatique offre une ouverture constante de f11.
Le boitier, peint en noir granité mat est extrêmement bien assemblé (métal estampé et soudure) et est très rigide. Sa face avant, métallique, est d’un bel effet et change selon le modèle : unie sur celui avec un viseur pivotant, « art-déco » pour le second qui propose lui un viseur en forme de tunnel, comme le Bilora Gevabox.
A l’arrière, un rond rouge pour servir de compteur de vue rudimentaire.
Pas de pas de vis pour une quelconque fixation de trépied en dessous ou sur un côté. Pas de prise flash non plus.
Ensuite, selon le modèle, un viseur pivotant ou un viseur en forme de tunnel ajouté sur le dessus du boitier. On n’y voit pas grand chose, dommage, quel que soit le viseur utilisé.

Enfin, sur le côté gauche (quand on tient l’appareil en mains), un large bouton rond strié. C’est le fameux curseur pour ouvrir et refermer l’appareil. C’est en fait tout le côté droit du boitier qui s’ouvre.
A l’intérieur, la chambre amovible pour charger un nouveau film en 120. C’est typiquement le système utilisé dans ce genre d’appareil, rien de spécial à ce sujet.
Que penser de l’appareil ?
Que ce soit l’un ou l’autre modèle (avec une préférence pour l’originalité du viseur pivotant), ils ont une certaine élégance, à défaut d’être sophistiqués.
Honnêtement, que vous utilisiez le viseur pivotant ou le viseur tunnel, vous ne verrez pas grands chose et vous prendrez vite l’habitude de viser au pif, à hauteur de taille ou de poitrine (si vous voulez quand même essayer de voir quelque chose dans le viseur pivotant).
Ils sont très compacts pour des box de cette génération et donc plaisant à tenir en main par la petite languette de cuir qui sert au transport (quoique je me méfie car le temps n’est pas l’allié de ce type de cuir). Vous pouvez aussi les ranger dans leurs boîtes en cuir pour les emmener où vous voulez, elles sont aussi munies de sangles, plus solides et plus souples.
Je ne peux m’empêcher de penser aux photographes de l’époque, qui ont rempli des albums photos familiaux avec ce genre d’appareil. Finalement, c’est qu’ils devaient rencontrer leurs attentes : simplicité et rendu suffisant que pour ne pas confondre Don Camillo et Pepone sur les images.
Si vous en trouvez en très bon état (pas rouillé, pas écaillé, avec leur trousse), ne dépensez pas plus de 15€ et, si vous en avez l’occasion, essayez-les, pour le plaisir de tirer 8 photos comme vos (arrières) grands-parents.
Des références.
https://vintagecameralab.com/fototecnica-filmor/, http://camera-wiki.org/wiki/Filmor, https://historiccamera.com/cgi-bin/librarium2/pm.cgi?action=app_display&app=datasheet&app_id=3487, https://www.historiccamera.com/cgi-bin/librarium2/pm.cgi?action=app_display&app=datasheet&app_id=3483, https://camerapedia.fandom.com/wiki/Filmor, https://www.collectorsweekly.com/stories/157652-fototecnica–filmor-box-camera, https://historiccamera.com/cgi-bin/librarium2/search.cgi?action=app_search&app=datasheet&sortby=datasheet_name&in_datasheet_subcategory=f0t0t3c&submit=search en anglais ; https://blog.seniorennet.be/retrocameras/archief.php?ID=197, en néerlandais ; https://www.collection-appareils.fr/x/html/appareil-12376-Fototecnica_Filmor.html, https://www.collection-appareils.fr/x/html/appareil-648.html, http://www.appaphot.be/fr/brands/fototechnica/fototechnica-filmor, https://www.persee.fr/doc/mar_0758-4431_1995_num_23_2_1565, https://www.petitfute.com/v50133-turin/histoire/ en français
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